Allocution de monsieur le procureur général près la Cour de Cassation, Président du Ministère Public au Congrès International de la Justice à Marrakech
Mohamed ABDENNABAOUI
Messieurs les Conseillers de sa Majesté le Roi ;
Monsieur le Président Délégué ;
Monsieur le Ministre de la Justice ;
Excellences ;
Mesdames et Messieurs ;
Permettez-moi tout d’abord de vous exprimer la fierté de tous les membres du Ministère Public du haut message Royal, et vous assurer leur engagement à respecter son contenu et à suivre les hautes instructions Royales. Exprimant nos vifs remerciements à Sa Majesté le Roi, Président du Conseil Supérieur du Pouvoir judiciaire pour le soutien, les actes généreux et l’intérêt que Sa Majesté accorde à la famille judiciaire et aux affaires de la justice. Puisse Dieu préserver Sa Majesté le Roi et le glorifier.
Depuis un an passé, un troisième pouvoir est né dans notre pays, Sa Majesté le Roi, Mohamed VI que Dieu le glorifie, a annoncé sa mise en place par l’installation de son conseil supérieur le 06 avril 2017.
Nous sommes réunis, aujourd’hui, à Marrakech pour célébrer le premier anniversaire d’un pouvoir judiciaire jeune. Un an au cours duquel ce pouvoir a exercé ses attributions dans une indépendance totale des pouvoirs législatif et exécutif conformément à la constitution.
Même si le conseil supérieur du pouvoir judiciaire a été installé le 06 avril de l’année dernière, la concrétisation de l’indépendance du pouvoir judiciaire ne s’est réalisé qu’en date du 07 octobre 2017 lorsque les attributions de l’Autorité gouvernementale chargée de la Justice ont été transférées au Procureur général du Roi près la Cour de cassation, en sa qualité de Président du Ministère public.
Mesdames et Messieurs ;
La revendication de la justice dans toutes ses branches et sous toutes ses formes, a fait de la justice le pivot des attentes des particuliers, des projets des institutions et des plans de l’Etat.
En effet, la justice est responsable de la protection des Droits des personnes et des groupes, de leurs libertés fondamentales, de la préservation de la sécurité et de l’ordre public, de la garantie de la stabilité familiale et de la continuité de l’activité de l’entreprise, de la préservation des postes de travail, et de la réalisation de la paix sociale, en plus de sa participation dans la moralisation de la vie publique, la protection des biens publics et de la propriété privée, la protection des catégories fragiles et vulnérables, la garantie de la suprématie du Droit et l’égalité devant les dispositions de la loi, ceci a été exprimé clairement par Sa Majesté le Roi Mohammed VI dans son discours à l’occasion de l’ouverture des travaux du Conseil Supérieur de la Magistrature le 15 décembre 1999 : « La justice est à l’évidence, le premier garant de la sécurité, de la stabilité et de la cohésion, qui font la citoyenneté véritable. Elle est en même temps un facteur agissant dans la moralisation de la société, l’instauration de la quiétude parmi ses membres, la garantie des conditions du développement économique et du progrès social et l’ouverture des perspectives d’une vie démocratique effective permettant la réalisation des espérances que nous nourrissons ». (Fin de la citation Royale).
La grande responsabilité et les rôles difficiles qui incombent aux magistrats, nous poussent à nous consacrer ensemble au pouvoir judiciaire, à instaurer un cadre juridique et institutionnel qui garantit son indépendance et à fournir les moyens qui lui permettent de mener à bien ses missions avec efficacité, neutralité et impartialité.
Les rôles de la justice se sont développés à travers l’histoire jusqu’à ce qu’elle devienne un pouvoir indépendant égale aux autres pouvoirs en vertu des traités internationaux et des constitutions modernes. C’est une ère constitutionnelle nouvelle des structures organisationnelles des nations. En effet, l’histoire de l’humanité a connu des époques caractérisées par la prédominance des pouvoirs exécutif ou législatif, à différents degrés selon les systèmes juridiques et où le rôle de la justice se limitait à « dire la loi », selon l’expression utilisée par les connaisseurs du Droit romain.
Le Royaume du Maroc a connu, pour sa part, des périodes historiques durant lesquelles la justice marocaine s’est développée progressivement, comme la phase de la doctrine et des oulémas qui étaient chargés de régler les litiges et d’entendre les doléances des gens, et qui nous laissé un patrimoine doctrinal et judiciaire témoin de la civilisation marocaine ancienne. Plus tard, la justice marocaine est devenue une justice moderne. Ses structures, organisations et attributions se sont développées à la lumière des constitutions marocaines qui se sont succédées, avant d’être élevée au rang d’un troisième pouvoir de l’Etat, indépendant des pouvoirs législatif et exécutif en vertu de la constitution de 2011.
En effet, la nouvelle constitution prévoit que : « Le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif. Le Roi est le garant de l’indépendance du pouvoir judiciaire », l’indépendance du juge est devenue ainsi une obligation et non un Droit ; il est désormais responsable de la protection des personnes et des groupes, de leurs libertés, et leur sécurité judiciaire, de l’application de la loi et de la dénonciation de toute menace à son indépendance au conseil supérieur du pouvoir judiciaire. Ce dernier est composé de représentations diverses, des magistrats, des représentants des instances des Droits de l’homme et certaines personnalités reconnues pour leur impartialité, leur probité et leur apport distingué en faveur de la primauté du droit. Ce choix constitutionnel démontre que la justice n’est plus une institution renfermée, mais une affaire de société qui intéresse tout le monde et dont l’indépendance doit être préservée par nous tous.
Avec ce dynamisme constitutionnel et juridique que notre pays a connu, depuis la constitution de 2011 jusqu’à l’adoption des textes de loi qui l’ont suivie, principalement la loi organique relative au conseil supérieur du pouvoir judiciaire et la loi organique relative au statut des magistrats, le Conseil Supérieur du Pouvoir judiciaire est créé le 06 avril 2017 annonçant le compte à rebours pour compléter la construction des structures de commandement du pouvoir judiciaire après six mois. En effet, l’indépendance du pouvoir judiciaire a été complétée le 7 octobre 2017 par le transfert des attributions de l’Autorité gouvernementale chargée de la Justice au Procureur général du Roi près la Cour de cassation, qui est devenu Président du Ministère public à compter de cette date. Il la charge de présider le Ministère public et de superviser ses travaux fixés par Sa Majesté le Roi, Président du Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire en vertu du Dahir de nomination du Procureur Général du Roi près la Cour de Cassation qui contient les instructions qui lui sont adressées par Sa Majesté Royale en sa qualité de Président du Ministère public et premier responsable judiciaire de son bon fonctionnement, de faire défendre le Droit commun, et de protéger l’ordre et le maintenir, en tenant à respecter, lui et les magistrats qui travaillent sous son autorité, les conformités de la suprématie de la loi et les principes de la justice et de l’équité envisagées par Sa Majesté le Roi «une approche réussie pour compléter l’édification de l’Etat de Droit, fondée sur le maintien des Droits et des libertés des citoyens, individus et groupes, dans un contexte de corrélation entre les Droits et les obligations».
Ces hautes instructions Royales orientent le Ministère public dans son travail quotidien. En effet, malgré la jeunesse de son expérience, qui a débuté le 7 octobre 2017, la Présidence du Ministère public réagit aux préoccupations et attentes des citoyens en veillant notamment à la bonne application de la loi, à la protection des libertés des citoyens conformément aux procédures et conditions prévues par la loi, en prêtant toute l’attention nécessaire aux catégories spécifiques comme la femme et l’enfant et en préservant la sécurité et l’ordre public.
Le Ministère public continuera à développer son travail au service de la patrie et des justiciables en veillant à garantir la sécurité, la stabilité, et la moralisation de la vie publique, en contribuant à la création d’un climat propice à la croissance économique et sociale, à la promotion des investissements et à la protection de la stabilité de la famille et des biens et en luttant contre la criminalité organisée en collaboration avec les institutions et instances nationales et internationales.
Mesdames et Messieurs ;
L’indépendance du pouvoir judiciaire ne peut se réaliser grâce aux constitutions et textes de loi uniquement, l’indépendance du pouvoir judiciaire est en outre une question de pratiques, usages et accumulations. On ne peut parler d’une indépendance réelle du pouvoir, si le juge n’est le premier à croire en son indépendance et son impartialité à l’égard de toutes formes et tous genres d’influence. De même, on ne peut parler de l’indépendance du pouvoir judiciaire, sans que tous les intervenants dans le domaine de la justice ne soient convaincus que cette indépendance est impérative. Ils doivent multiplier leurs efforts dans le but unique de garantir le travail de l’appareil judiciaire avec impartialité, neutralité et indépendance.
En plus, l’indépendance de la justice n’est pas un avantage pour le juge qui le préserve et le met à l’abri de toute responsabilisation constitutionnelle, il s’agit par contre, d’une règle juridique adoptée au profit des principes de justice et d’équité dans le but de protéger les juges contre toute influence ou menace susceptibles d’écarter leurs décisions de l’application de ces principes, du respect de la loi et de la mise en œuvre des procédures avec justesse, impartialité et neutralité.
Vu que la séparation totale des trois pouvoirs de l’Etat est une question impossible, l’application idéale du principe de la séparation des pouvoirs suppose la création des mécanismes de coopération et de complémentarité pour garantir l’unité de l’Etat et le dynamisme et l’efficacité de ses institutions. Cependant, cette coopération ne doit pas être un motif pour qu’un pouvoir s’empiète sur les compétences des autres pouvoirs. La justice peut, en effet, compléter le législatif à travers l’interprétation des lois et la jurisprudence, mais ne peut poser des règles juridiques contraignantes. En outre, le pouvoir judiciaire peut compléter le travail du pouvoir exécutif par la prise de certaines décisions nécessaires pour l’administration de l’action, mais ne peut prendre la place de l’administration dans la prise des décisions qui relèvent de sa compétence. De même, les domaines d’intersection des travaux du pouvoir judiciaire et des pouvoirs législatif et exécutif ne doivent pas aboutir à l’intervention dans les affaires de la justice. Les textes de loi doivent être interprétés dans le sens de la consolidation de l’indépendance du pouvoir judiciaire, et la pratique quotidienne doit s’orienter vers la garantie et la préservation de cette indépendance, tant que cet objectif est adopté constitutionnellement et juridiquement pour servir le citoyen et la loi et non les membres du pouvoir judiciaire.
Mesdames et Messieurs ;
Le grand défi de réussir l’expérience marocaine dans le domaine de la justice est un exercice difficile et long qui nous oblige à développer nos performances en matière de justice. Dans cet objectif, on doit évoquer les valeurs idéales de la justice, garantir l’application du Droit et l’équité devant la loi, et ce pour gagner la confiance du citoyen dans la justice et consolider la suprématie de la loi dans ses pensées. Pour cela, il importe d’adopter les textes juridiques de fonds et de procédure pour répondre aux attentes des citoyens et suivre le développement de leurs besoins en matière de justice, élaborer des plans pour l’avenir selon des programmes de planification stratégique fondés sur des objectifs de promotion du secteur de la justice, et fournir les ressources humaines et les moyens financiers nécessaires pour la réalisation de ces objectifs, conformément à une méthodologie basée sur la participation, la collaboration, la coordination et le dialogue entre tous les intervenants dans le domaine de la justice.
Mesdames et Messieurs ;
La Présidence du Ministère publique vous est reconnaissante d’avoir bien voulu assister à ce congrès et participer à cette cérémonie commémorative du premier anniversaire de l’installation du pouvoir judiciaire marocain indépendant. C’est une occasion pour remercier tous nos invités qui ont honoré le Royaume du Maroc et qui par leur présence la ville de Marrakech est devenue encore plus belle. Il est certain que ces rencontres ne sont pas uniquement des occasions pour célébrer un évènement historique d’une grande importance, mais une occasion pour échanger les points de vue et les idées et prendre connaissance des expériences et des expertises comparées. C’est une occasion également de rencontrer nos invités des autres pays, magistrats, avocats et cadres de justice, pour partager les préoccupations communes relatives aux méthodes d’organisation des domaines de la justice et des pratiques idéales pour le fonctionnement des tribunaux et des institutions judiciaires, et pour faciliter la communication avec nos homologues dans les autres pays qui nous ont honoré par leur présence.
Soyez les bienvenus.