L’Indépendance du Ministère Public?

Monsieur Patrice DAVOST

Procureur général

Cour d’appel de Toulouse[1]

 

Sujet d’une brûlante actualité dans de nombreux pays (dont la France);

Sujet de débats politiques et doctrinaux souvent vifs et passionnes;

Sujet fondamental au regard de l’évolution des standards internationaux de la procédure et de la «juridictionnalisation» de l’enquête pénale;

«Combat» permanent â mener pour que les justiciables aient confiance dans une justice indépendante et impartiale, car la question de l’impartialité du Ministère Public est au cœur de la réflexion sur l’indépendance du Ministère Public.

 

Avant d’aborder cette problématique, il est bon d’avoir un bref regard de droit compare sur le Ministère Public.

 

1) Dans une remarquable étude de l’école doctorante de l’université de Paris I Panthéon-Sorbonne, sous la direction du Professeur Christine Lazerges, publiée en 2006 sous le titre «Figures du Parquet» aux éditions des Presses Universitaires de France, il ressort de l’étude des dix pays observes, dont cinq de l’Union Européenne, trois constats majeurs:

 

1er constat: la nécessite d’un ministère public:

° Quelque soit le système de droit, ou le système de procédure (inquisitoire ou accusatoire), le Parquet s’est impose comme une institution nécessaire â l’équilibre du procès pénal;

° Les Parquets ont tous la fonction essentielle de protéger, d’une part les libertés individuelles, et d’autre part les intérêts fondamentaux de l’Etat, avec le déclenchement, puis l’exercice de l’action publique, c’est â dire une action d’intérêt général.

 

2eme constat: l’accroissement des missions du Parquet

Malgré la diversité des statuts, on constate une tendance lourde â l’accroissement des missions du parquet jusqu’â lui confier des fonctions de «quasi-juge» (nécessitant une indépendance statutaire accrue).

 

3eme constat: la grande variété des statuts des membres du Ministère public ou «l’éparpillement des Figures du Parquet» comme le souligne le Pr Lazerges.

 

Ainsi, il ressort de cette étude que les fonctions du ministère public sont similaires, essentielles nécessaires et de plus en plus lourdes.

 

2) deuxième approche comparée:

 

Dans un rapport de 2010 sur «les systèmes judiciaires européens», un groupe d’experts de la commission européenne pour l’efficacité de la justice (C.E.P.E.J.), sous la présidence de M. Jean-Paul Jean, président de chambre honoraire â la Cour de Cassation, a analysé les données des Parquets de 45 pays du Conseil de l’Europe et a dressé deux constats:

 

°L’accroissement des missions du Ministère Public (le ministère public français étant le plus chargé!)

 

°L’impact de la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme sur la question fondamentale des garanties statutaires du Ministère Public, garanties nécessaires pour assurer l’impartialité des membres du Parquet, et, au-delà, pour assurer la confiance des justiciables en leur justice.

 

L’impartialité, nous sommes au cœur des enjeux de l’indépendance du Parquet.

 

Dans la Recommandation 2000 (19) sur les principes directeurs pour les Ministères Publics le Conseil de l’Europe a adopté le 6 octobre 2000 le Principe No 72 suivant: «le magistrat du ministère public doit agir de façon impartiale et objective. Il veille â l’égalité de tous devant la loi, sans distinction de sexe, de race, d’origine sociale ou nationale, de naissance, de fortune, de religion, d’opinion au d’appartenance politique ou da toute autre considération étrangère â la procédure…».

 

Ce principe d’impartialité a été traduit, en France, dans une nouvelle rédaction de l’article 31 du Code de procédure pénale issu de la loi du 25 juillet 2013: le ministère public exerce l’action publique et requiert l’application de la loi dans le respect du principe d’impartialité auquel il est tenu».

 

*Pourquoi et comment assurer cette impartialité ? C’est â ces deux questions qu’il faut tenter d’apporter des réponses répondant â l’attente des réponses répondant a l’attente des justiciables.

 

  1. a) Pourquoi assurer cette impartialité du ministère public?

 

Elle est rendue nécessaire:

 

°par l’accroissement de son rôle: quasi-juge ou premier juge;

°par la «juridictionnalisation »de l’enquête pénale sous l’effet des standards internationaux de la procédure pénale;

°par l’exigence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (arrêts Medvedyev et Moulin c/France

 

  1. b) comment assurer, au mieux, cette impartialité?

 

En assurant aux membres du ministère public une indépendance organique et une indépendance fonctionnelle.

 

°une indépendance «organique»

en accordant aux membres du ministère public des garanties statutaires quasi identiques â celles des juges, et en déconnectant les attributions du ministre de la justice de tout pouvoir de nomination aux postes de haute responsabilité, procureurs généraux et procureurs.

 

°°une indépendance «fonctionnelle»

c’est á dire une «autonomie» dans la réalisation de ses missions quotidiennes, ce qui ne veut pas forcément dire suppression du principe hiérarchique et du principe d’indivisibilité qui régissent le plus souvent le fonctionnement des parquets, mais qui signifie:

– liberté de parole â l’audience;

– prohibition des instructions individuelles du ministre de la justice (mais seulement directives générales de politique pénale).


[1] Présentée a la Conférence Internationale sur la Justice (Marrakech – Avril 2018).

L’Indépendance du Ministère Public? was last modified: ianuarie 7th, 2019 by Costache Adrian

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